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Discoveries, le making of par Vincent Dutrait

À l’occasion de la sortie de Discoveries, nous vous proposons de suivre sa création à travers le journal de Vincent Dutrait. Avant d’illustrer Discoveries, Vincent avait travaillé sur Lewis & Clark qui se situait dans le même univers, le challenge était donc de taille. Nous vous laissons découvrir sa démarche…

Commençons par une petite anecdote. Un soir d’été 2014, je joue en famille à Lewis & Clark. A la fin de la partie, je discute du jeu avec mes convives et de fil en aiguille, nous en venons à parler plus en détail de l’expédition que je commence à bien connaître, l’ayant déjà illustrée plusieurs fois, que ce soit en jeu de société ou en livre jeunesse.

Et là je réalise que dans Lewis & Clark, j’ai surtout représenté des personnages mis en situation et l’aspect « périple et épopée » de l’aventure. Mais nous n’avons pas pleinement développé le pan « découverte » et exploration de l’Ouest américain.

Je garde tout ceci à l’esprit pour en discuter avec les Ludonaute… Le lendemain matin, je recevais un message de leur part m’annonçant que Cédrick Chaboussit venait d’élaborer un nouveau jeu complet et original consacré aux journaux rapportés par les explorateurs décrivant les rencontres avec les tribus, la cartographie et l’étude de la faune et de la flore !

Dances With Lewis & Clark

Travailler un thème et une histoire plusieurs fois, ce n’est pas chose aisée. De plus, L&C et Discoveries sont deux jeux très différents mais à la thématique commune avec une approche similaire, les joueurs vont devoir gérer les membres de l’expédition pour arriver à leur fin.

Je dois reconnaître que dans un premier temps, cela m’a donné quelques sueurs froides. Le travail des images et de l’ergonomie étant déjà très poussé sur L&C, il fallait tendre vers le même résultat mais sous un jour nouveau. Et ce afin d’éviter « Lewis & Clark 2 », « Lewis & Clark : l’extension » ou encore « Lewis & Clark : le retour »…

The Designer, The Publisher And The Artist

Après d’enrichissantes et constructives discussions, nous nous sommes orientés vers la représentation des journaux tenus par les explorateurs. S’en est suivi une phase de recherches de documents et références pour asseoir la véracité et la crédibilité des illustrations. Avec comme fil rouge les habitats des différentes tribus, leurs modes de vie, chasseurs, pêcheurs, indiens des plaines, des montagnes, les plantes et espèces animales rencontrées.

J’ai ensuite mis en place un canevas pour les cartes en respectant quelques contraintes. Tout d’abord, les cartes sont orientées horizontalement, c’est un détail très important, qui de fait, physiquement et visuellement, ne donnera pas la même sensation de jeu que L&C, les manipulations autour de la table ne sont pas les mêmes.

Puis j’ai imaginé deux traitements distincts. Des cartes ocres et brunes pour les tribus pour leur donner de la chaleur, rappeler les couleurs des rocheuses, du cuir, du bois, du « vivant ». Et des cartes Découvertes au fond pâle et froid pour les différencier des cartes tribus et surtout bien focaliser l’attention sur les tracés des chemins empruntés et les illustrations des espèces découvertes.

Ensuite j’ai ordonné et hiérarchisé les cartes pour que la mécanique et ses indications soient intégrées le mieux possible à l’ensemble et éviter ainsi un sentiment trop fort de « superposition ou patchwork numérique ». J’ai d’ailleurs dessiné à la main les symboles, chiffres et pictogrammes pour que l’on retrouve esthétiquement le même aspect graphique et le même grain que sur les illustrations. Tendre le plus possible vers des cartes harmonieuses, cohérentes et surtout très lisibles.

Wild Wild West

J’ai souhaité donner le sentiment aux joueurs qu’ils vont réaliser un vrai travail d’anthropologie, d’ethnologie, d’étude des différentes cultures, etc.

Pour les cartes Tribus, je me suis vite rendu compte que ce ne serait pas évident de représenter la cinquantaine de tribus qui peuplent ces contrées tout en conservant de la diversité et en donnant du caractère à chaque image. Car certaines tribus ont des habitats similaires (tipis, maisons de bois ou huttes), des modes de vies ou habitudes vestimentaires proches. Ou encore, au pire pour d’autres, pas moyen d’en trouver des descriptions écrites ou représentations graphiques…

Pour apporter de la variété, j’ai donc choisi de représenter l’habitat si je trouvais la documentation adéquate, un personnage si je manquais de références ou un élément caractéristique si j’avais une image source suffisamment précise.

Au final, cela m’a permis de mettre en place des paysages, des personnages en plans plus ou moins rapprochés, des costumes, des objets, de petites scènes de vie quotidienne, des liens entre les hommes et la nature, les animaux…

Pour les cartes Découvertes, ce fut plus simple. Ici la mécanique prime et le tracé des chemins se devait d’être clair et parfaitement lisible, une fois posé sur la table. Dans Discoveries on ne garde pas ses cartes en main, ce qui influe sur le traitement des illustrations que l’on verra principalement à distance et non juste sous les yeux.

A gauche, rivière et montagne, deux icônes peintes pour assurer une bonne intégration à l’ensemble de la carte et à droite, les illustrations des plantes et animaux.

Pour les deux types de cartes, j’ai travaillé les illustrations dans l’esprit de carnets de voyage avec une illustration en partie crayonnée qui prend vie avec les couleurs, comme des ébauches, de petites peintures prises sur le vif, croisant ici un chasseur, là un enfant rentrant de la pêche, en observant une plante,… Comme des instantanés, des souvenirs rapportés.

Et j’ai agrémenté les fonds de petits croquis, traces d’écritures, taches d’encres et salissures pour renforcer l’idée des journaux que l’on se trimballe dans sa sacoche pendant l’expédition, qu’il vente ou qu’il neige.

On The Board Again

Dans les toutes premières versions du jeu, sous forme de prototype, il n’y avait pas de « grand » plateau. C’est lors d’une soirée de tests à Essen que Sébastien Pauchon (de Gameworks et Space Cowboys) a évoqué l’idée d’un plateau plus conséquent au centre du jeu, de la table, plutôt qu’une simple zone pour déposer les dés.

Cela m’a tout de suite emballé, ainsi que les Ludonaute, car il manquait au jeu un peu d’immersion, un cadre, du décor et de la mise en situation pour se projeter pleinement dans l’aventure.

L’illustration offre une vue quasi-panoramique voire cinématographique de l’expédition en pleine pause, les uns rencontrant et découvrant les indiens, les autres s’afférant aux embarcations et préparant les montures pour poursuivre à travers les montagnes.

J’ai composé l’illustration de manière très rigoureuse pour lui donner équilibre et assise solide, les lignes de force convergent toutes vers le centre de l’image pour donner de la profondeur et la montagne forme comme une « pyramide » chapeautant la scène. Cela insuffle une certaine ampleur tout en amplifiant le ressenti d’un Homme « petit » au pied d’une nature majestueuse.

Le plateau facilite aussi l’organisation et la structure de l’espace de jeu avec les cartes sur ses côtés. Il me semble que Discoveries (à l’instar d’Augustus que j’ai aussi illustré) est un jeu à effet « Whaou ! ». Il n’y a finalement pas énormément d’éléments de jeu, on commence la partie avec pas grand-chose, et petit à petit on occupe la table, on s’étend. Plus on avance dans la partie et plus on va développer son jeu en étalant des cartes.

Ce qui au final donne un sentiment de sérieux accomplissement avec une table bien plus « remplie », voire encombrée, qu’en début de partie.

Les plateaux des joueurs sont des éléments pas toujours « fun » car reprenant la plupart du temps les mécanismes, des indications ou aide de jeu. Là, j’ai profité de cet espace pour en remettre en couche en matière de textures et couleurs, ajouter encore un peu d’immersion avec des morceaux de papiers et le carnet posés sur une planche, un petit portrait crayonné, une pierre à la couleur du joueur…

Once Upon A Time…

L’illustration de couverture a été conçue dans le même esprit que celle de L&C. Dans l’idée de présenter ce que vont faire les joueurs pendant la partie, mettre en images les actions de jeu.

On retrouve sur l’image la tête de l’expédition, la proximité avec les indiens, le travail des journaux et Sacagawea indiquant le chemin à suivre. Elle pointe d’ailleurs la partie du décor que l’on retrouve ensuite sur le plateau de jeu. Toujours dans l’optique de raconter une histoire, avec des montagnes qui ressemblent à celles de L&C et l’aigle qui surveille.

Sur la couverture de L&C, j’avais mis l’accent sur les explorateurs, un décor plutôt froid, une image fermée par les parois d’un défilé, pour faire ressortir les couleurs chaudes des personnages sur les canoés, avançant vers l’inconnu.

Ici, j’ai imaginé l’inverse en quelque sorte, mettre en avant les grands espaces et les couleurs de la nature, des plantes, des animaux, une ambiance plus chaleureuse, plus « roots ».

J’ai eu aussi envie de changer d’ambiance, sortir des bleus verts pour plus de douceur avec des teintes roses et crèmes apaisantes et rassurantes. Je sais que grâce à mon « écriture » et à mon traitement graphique, les joueurs feront le lien entre les deux boîtes de jeu mais nous les voulions aussi très différentes pour bien faire passer le message qu’il s’agit là d’un nouveau jeu, comme évoqué plus haut.

Un petit mot sur la technique, comme à mon habitude, j’ai réalisé toutes les illustrations de manière dite « traditionnelle », avec crayons, pinceaux et peintures sur papiers. Parfois de manière morcelée pour ensuite recomposer via l’ordinateur les illustrations et les monter sur les cartes à jouer.

This Was Just The Beginning

Pouvoir reprendre un thème de jeu et le retravailler différemment, cela ne se présente pas souvent dans une carrière et j’ai été enchanté par cette formidable opportunité proposée par les Ludonaute que je remercie chaleureusement.

En même temps, ce fut un sacré challenge, complexe et périlleux. J’ai reçu il y a peu les premiers exemplaires du jeu (particulièrement bien produits, autant au niveau de l’impression précise que du rendu fidèle des couleurs) et cela m’a procuré un immense bonheur : les retrouvailles avec l’expédition Lewis & Clark que j’affectionne tout particulièrement (ainsi que l’équipe Ludonaute et l’auteur Cédrick Chaboussit), le fait finalement d’avoir pu poursuivre plus profondément et intimement ce que j’avais mis en place avec L&C, autant sur la forme que sur le fond (j’avais eu à l’époque des idées que je n’avais pu développer et j’ai pu les intégrer dans Discoveries) et le plaisir de faire à nouveau un bout de chemin avec les joueurs dans cet univers ! Bon jeu !

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